Menu

Accueil téléphonique

Du lundi au vendredi
de 9h à 12h et de 14h à 18h

Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Arrêt du 21/3/2024 : Vers un resserrement du champ de la garantie décennale ?

Arrêt du 21/3/2024 : Vers un resserrement du champ de la garantie décennale ?

Le 16 avril 2024
Bénéficier théoriquement de la garantie décennale est une chose mais se retrouver avec une entreprise certes responsable mais liquidée et n’ayant pas souscrit d’assurance de responsabilité décennale à la date d’ouverture du chantier en est une autre.

Article du 15 avril 2024

Depuis la loi « Spinetta » du 4 janvier 1978, l'article 1792 du Code Civil emporte une présomption de responsabilité pour tous les intervenants à l’acte de construire.

Il dispose en effet : « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. »

Par « constructeur », on entend :

-          tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage,

-          toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire et enfin

-          toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.

L’objectif est d’accroître la protection des maîtres de l’ouvrage souvent profanes en matière de construction, afin de leur garantir la prise en charge des désordres graves survenant dans les 10 ans de la réception.

Et cette protection est encore améliorée par l’obligation de souscrire deux types d’assurance. 

La première, c’est l’assurance décennale. L’article L 241-1 dispose en effet : « Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance. »

Cette obligation pèse principalement (en résumé) sur les entreprises du bâtiment.

La seconde, c’est l’assurance dommages-ouvrage comme l’indique l’article L 242-1 du Code des assurances dispose en effet : « Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil. »

Cette obligation pèse principalement (toujours en résumé) sur les maîtres de l’ouvrage.

Des conditions doivent être remplies pour que s’applique la fameuse garantie décennale :

-          être en présence d’un ouvrage : travaux relativement importants impliquant la mise en œuvre de techniques du bâtiment. On trouve ainsi les bâtiments (d'habitation, de bureaux, agricoles, industriels), toutes sortes de constructions et notamment les travaux de génie civil, les VRD, les installations sportives ainsi que certains travaux sur existants,

-          que le désordre soit grave au point de compromettre la solidité de l'ouvrage ou, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, de le rendre impropre à sa destination,

-          que le désordre affecte l’ouvrage ou un élément d'équipement de celui-ci mais seulement, dans ce dernier cas, s’il fait indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert (c’est-à-dire lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage),

-          que cette gravité soit atteinte dans les 10 ans de la réception,

-          que le désordre soit caché à la réception, sans quoi le maître de l’ouvrage est réputé avoir renoncé à s’en prévaloir contre le constructeur.

Ce régime particulièrement favorable se doit d’avoir des contours clairs afin que l’on sache quand il doit s’effacer au profit de la responsabilité contractuelle (ou délictuelle) de droit commun dont la mise en œuvre est moins aisée (démonstration d’une faute et d’un lien de causalité avec le désordre).

Et aussi parce que le fait de ne pas souscrire d’assurance décennale ou d’assurance dommages-ouvrage peut, selon le cas, être pénalement sanctionné.

Et encore parce que l’article 1792-3 du Code Civil relatif à la garantie de bon fonctionnement de deux ans dispose : « Les autres éléments d'équipement du bâtiment font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de la réception de l'ouvrage. » Cette autre garantie est elle aussi dérogatoire du droit commun de la responsabilité.

Mais le point de savoir si les conditions d’application de la garantie décennale sont réunies ou non n’est pas toujours aisé ainsi qu’en témoigne la lente construction jurisprudentielle bâtie sur l’article 1792 du Code Civil issu de la loi Spinetta précitée.

Et les conséquences parfois dramatiques de travaux mal réalisés peuvent parfois conduire le juge à vouloir faire prendre en charge certains désordres au titre de la garantie décennale en donnant aux textes une interprétation quelque peu extensive.

Ainsi, la Cour de Cassation a pu juger le 15 juin 2017 : « les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

C’est à ce prix-là que le maître de l’ouvrage qui avait fait installer un insert dans sa maison préexistante a pu être indemnisé sur le fondement favorable de la garantie décennale alors même que la mise en œuvre de cet insert n’a pas nécessité la mise en œuvre de techniques du bâtiment par la modification substantielle de sa maison.

Idem pour le maître d’ouvrage qui a fait remplacer sa chaudière par un appareil insuffisamment puissant au point que la maison ne pouvait plus être chauffée de manière convenable et se trouvait affectée d’une humidité malsaine.

Dans un cas comme dans l’autre, c’est la gravité du désordre ainsi généré qui entraînait l’application du régime dérogatoire de la garantie décennale.

Mais par un arrêt (n° 22-18.694) du 21 mars 2024, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a mis fin à cette jurisprudence qui étendait de manière significative le champ d’application de cette garantie.

Les faits sont les suivants :

Dans le sud de la FRANCE, un couple a confié à la société L'Univers de la cheminée le soin d'installer un insert dans la cheminée de leur maison.

Le 13 février 2013, un incendie est survenu dans cette dernière, occasionnant sa destruction ainsi que celle de l'intégralité des meubles et effets s'y trouvant.

Estimant que cet incendie était imputable à l'installation de l'insert de cheminée, le couple a assigné la société L'Univers de la cheminée et son assureur (Axa) aux fins d'indemnisation.

Par arrêt du 20 avril 2022, la Cour d’Appel de Montpellier a confirmé dans les grandes lignes le jugement rendu par le tribunal de grande instance de RODEZ du 3 juin 2019 en ce qu’il avait :

Déclaré les époux [Y] recevables à agir.

Déclaré la compagnie d'assurances Swisslife recevable à agir en sa qualité de subrogée de ses assurés.

Déclaré la SARL L'Univers de la cheminée entièrement responsable de l'incendie par suite des non-conformités de l'insert, ouvrage qu'elle a installé le 19 novembre 2012.

En conséquence,

Condamné in solidum la SARL L'Univers de la cheminée et son assureur la compagnie Axa à payer aux époux [Y] la somme totale de 79.308,06€ à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices matériels et immatériels se décomposant comme suit :

' 199.327,49€ TTC au titre de la reconstruction.

' 1.607€ TTC au titre de l'enlèvement des gravats.

' 15.600€ au titre de leur préjudice de jouissance.

' 5.383,57€ au titre de leurs frais d'assistance aux expertises.

- à déduire la somme de 142.610€ au titre de l'indemnisation perçue par leur assureur,

soit la somme totale de 79.308,06€ avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la mise en demeure le 16 février 2016 et capitalisation par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Condamné la SARL L'Univers de la cheminée à payer aux époux [Y] la somme de 37.597€ à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice mobilier avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la mise en demeure le 16 février 2016 et capitalisation par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Condamné in solidum la SARL L'Univers de la cheminée et son assureur la compagnie d'assurances Axa à payer aux époux [Y] la somme de 4.500€ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Dit que la compagnie Axa devra garantir son assurée, la SARL L'Univers de la cheminée, dans le cadre du contrat d'assurance les liant à l'exclusion du préjudice mobilier et sous réserve de la franchise contractuelle de 1.500€ par sinistre à la charge de cette dernière.

Condamné in solidum la SARL L'Univers de la cheminée et son assureur la compagnie Axa à payer à la compagnie d'assurances Swisslife la somme de 142.610€ au titre de sa créance en sa qualité de subrogée de ses assurés.

Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Condamné in solidum la SARL L'Univers de la cheminée et son assureur la compagnie Axa à payer aux époux [Y] la somme de 3.000€ et à la compagnie Swisslife la somme de 1.500€ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamné in solidum la SARL L'Univers de la cheminée et son assureur la compagnie Axa aux entiers dépens de la présente instance, de celle en référé, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP GRILLON par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour ce faire, la Cour d'appel de Montpellier avait retenu, dans la lignée de la jurisprudence précitée : « Toutefois, c'est une fois de plus en méconnaissance volontaire de l'actualisation de la jurisprudence qu'Axa maintient un tel moyen puisque il est désormais de jurisprudence arrêtée que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Ch Civ 3 14/09/2017 n°16-17323), arrêt publié dans une espèce intéressant un incendie provoqué par un insert de cheminée. »

Mais par un arrêt rendu le 21 mars 2024, la 3e chambre civile de la Cour de cassation a statué comme suit :

« 9. Alors qu'il était jugé antérieurement, en application de ces textes, que l'impropriété à destination de l'ouvrage, provoquée par les dysfonctionnements d'un élément d'équipement adjoint à la construction existante, ne relevait pas de la garantie décennale des constructeurs, la Cour de cassation juge, depuis l'année 2017, que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100).

10. Elle a, également, écarté l'application de l'article L. 243-1-1, II, du code des assurances, selon lequel les obligations d'assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles, lorsque les désordres affectant l'élément d'équipement installé sur existant rendaient l'ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination (3e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119).

11. Ce revirement de jurisprudence poursuivait, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l'élément d'équipement était d'origine ou seulement adjoint à l'existant, lorsque les dommages l'affectant rendaient l'ouvrage en lui-même impropre à sa destination.

12. Il visait, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres de l'ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d'amélioration de l'habitat existant.

13. Ces objectifs n'ont, toutefois, pas été atteints.

14. D'une part, la Cour de cassation a été conduite à préciser la portée de ces règles. Ainsi, il a été jugé que les désordres affectant un élément d'équipement adjoint à l'existant et rendant l'ouvrage impropre à sa destination ne relevaient de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu'ils trouvaient leur siège dans un élément d'équipement au sens de l'article 1792-3 du code civil, c'est-à-dire un élément destiné à fonctionner (3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi n° 19-20.231, publié).

15. La distinction ainsi établie a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d'équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d'exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d'équipement d'origine.

16. D'autre part, il ressort des consultations entreprises auprès de plusieurs acteurs du secteur (France assureurs, Fédération nationale des travaux publics, Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, Fédération française du bâtiment, Institut national de la consommation) que les installateurs d'éléments d'équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu'auparavant à l'assurance obligatoire des constructeurs.

17. La jurisprudence initiée en 2017 ne s'est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l'ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d'autres garanties d'assurance.

18. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs.

19. La jurisprudence nouvelle s'applique à l'instance en cours, dès lors qu'elle ne porte pas d'atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d'accès au juge.

20. Pour condamner in solidum la société L'Univers de la cheminée et la société Axa sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt énonce que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, puis retient que le désordre affectant l'insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l'habitation.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Ainsi, les désordres affectant l’insert et à l’origine de l’incendie ayant détruit la maison d’habitation des requérants ne donnera pas lieu à l’application de la garantie décennale dans la mesure où il ne constitue pas un ouvrage.

La lecture des textes relatifs à la garantie décennale est cependant plus orthodoxe que ce qu’avait induit la jurisprudence de 2017.

D’autre part, comme l’indique la Cour de cassation, les entreprises dont l’activité principale porte sur la rénovation par opposition au neuf, ne s’étaient pas pour autant davantage assurées au titre de la garantie décennale depuis 2017.

Or, bénéficier de manière théorique de la garantie décennale est une chose mais se retrouver avec une entreprise certes responsable mais liquidée et n’ayant pas souscrit d’assurance de responsabilité décennale à la date d’ouverture du chantier en est une autre.

Reste que cette jurisprudence pose difficulté quant à ses conditions d’application dans le temps puisque comme indiqué ci-dessus : « La jurisprudence nouvelle s'applique à l'instance en cours, dès lors qu'elle ne porte pas d'atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d'accès au juge. »

Cette précision annonce des débats à venir dans les prétoires…

Plan d'accès
Trouver le cabinet 33 Rue du Gouvernement 59500 DOUAI Horaires d'ouverture Du lundi au vendredi
De 9h à 11h et de 14h30 à 18h
Accueil téléphonique Du lundi au vendredi
De 9h à 12h et de 14h à 18h
Newsletter
S'inscrire à la newsletter

Vous souhaitez recevoir toute l’actualité du cabinet ?

Renseignez votre adresse e-mail ci-dessous :